Gaillac Vignoble & Patrimoine Millénaires

La dive à travers les siècles – 1529

A travers les siècles...

La Confrérie de la Dive Bouteille de Gaillac est pareille à ces monuments qui bravent les siècles pour aujourd’hui encore apporter le témoignage des grandeurs passées.

Nous sommes les héritiers de la « Compagnie de la Poda », la plus ancienne confrérie d’Europe. Cette Compagnie, fondée en l’an 1529 par les Consuls de la Ville de Gaillac sous la bienveillante bénédiction du Comte de Toulouse, organisait et réglementait les festivités et les amusements qui se déroulaient durant les jours de Carnaval dans l’entrée en Carême. Carnaval, mot magique dont l’étymologie trouve sa source dans le latin médiéval : « carne levare », enlever la viande (des repas), puisqu’après le carnaval il convenait d’observer le maigre du carême.

Durant le carnaval, tout est permis, tout est inversé. Le roi devient gueux, le gueux devient roi, le bourgeois est paysan, le paysan est bourgeois, le notable devient mendiant et le mendiant est notable.

Ainsi, pendant les trois jours de carême entrant, la jeunesse gaillacoise, après avoir élu le roi des tailleurs de vigne, « lo rey de la poda », investissait la ville et avait la permission de s’exprimer en un tumultueux charivari. Ils avaient, dit-on, licence de jouer les jeux accoutumés, manger, boire, chanter, danser et faire toutes autres joyeusetés.  Parmi les innombrables joyeusetés auxquelles se livraient ces troupes fringantes, il y avait un rite immuable qui opposait la jeunesse de la ville divisée en deux groupes symbolisant les chrétiens d’un côté, les maures de l’autre.

On édifiait un castel (un château) sur la place de Gaillac, aujourd’hui la place du Griffoul. Une jeune fille tenant une poda (une serpette) se positionnait au sommet. Les compagnons, jeunes gens partagés en deux camps défendaient ou assaillaient le château, symbolisant ainsi les batailles de la reconquête, sous une grêle de tessons et de projectiles divers. La jeune fille recevait en récompense une paire de sabots. Heureux temps où les jeunes filles savaient se satisfaire de l’essentiel. Ces fêtes, propres au vignoble Gaillacois, étaient dites du « Rey de la Poda ».

Au-delà de la fête et du folklore cela démontre la complicité et les relations confraternelles qui prévalaient entre le vignoble et sa population.

Les siècles passant, des hommes vinrent et s’en furent en générations éphémères, et ces traditions s’endormirent pour sombrer dans l’oubli, se couchant sous les outrages du temps.  De plus, la Révolution de 1789, dans sa volonté d’éradiquer toute opposition, supprima et réprima toutes les Confréries, ce qui relégua aux oubliettes les derniers vestiges de ces traditions des terroirs anciens.

Mais le temps à beau s’écouler, la ronde des saisons peut bien défiler en un mouvement perpétuel, tant qu’il y aura des hommes, survivra toujours, telle une étincelle au fond de la nuit la plus profonde, une parcelle de mémoire.

Ainsi, fallut-il attendre jusqu’au milieu du XXème siècle pour qu’une poignée d’hommes, des esprits cultivés albigeois, se retrouvent au sein d’une société qu’ils nommèrent la Compagnie Albigeoise de Rabelais. Étudier l’œuvre de Rabelais, faire des recherches sur son œuvre, renouer avec le sens des traditions viticoles chères au grand homme voilà le but de cette honorable compagnie. Des amis Gaillacois se joignent à eux et en 1952 naît la Confrérie de l’Ordre de la Dive Bouteille de Gaillac, sous la férule du Sieur Jean Calvet, maire de Gaillac, qui en fut le premier Grand Chancelier. Ces hommes avisés ont eu, par amour de leur terroir, la clairvoyance d’extirper de ses cendres et des mémoires cette Confrérie dont le Gaillacois peut aujourd’hui s’enorgueillir.

Même si les codes de fonctionnement sont différents, mêmes si un saut de plusieurs siècles nous sépare du Rey de la Poda, chantre des liesses de ces temps éloignés, c’est sans fausse modestie et sans aucun scrupule que nous revendiquons cette noble hérédité avec la lointaine Compagnie du Roi des Tailleurs de Vigne. Sans fausse modestie car nous savons que c’est le même ressort qui nous anime et qui nous guide ; et sans scrupule car au fond de nous-même se trouve cette parcelle de savoir qui nous projette à travers l’histoire pour nous montrer qui nous sommes vraiment, et surtout d’où nous venons.

Bien-sûr nous ne nous battons plus contre des Maures pour les sabots d’une belle. Mais notre amour du terroir reste intact. Notre ardeur à défendre le vignoble ne faiblit pas. La passion du vin de Gaillac est la même.  Alors, parce que telle est la mission que l’Histoire nous a assigné, parce que telle est notre vocation et notre sacerdoce, nous continuons, indéfectiblement, à assurer la promotion du vignoble, du vin, du Terroir, de Gaillac.

Ce n’est pas faire injure d’affirmer que la Dive Bouteille de Gaillac est une très vieille dame et depuis bien longtemps fut filé la laine de ses jupons. Mais son esprit reste clair, pur, lumineux et surtout son coude a conservé toute la souplesse d’antan restant à même de terrasser, sans coups férir, les soifs les plus diaboliques.

Henri PLAGEOLES.

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