Gaillac Vignoble & Patrimoine Millénaires

Domaine Borie-Vieille - 1910

UNE HISTOIRE DE FAMILLE

L’histoire de la famille Fonvieille rejoint l’histoire du vignoble de Gaillac lorsque Marguerite Victorine Vernhes, née en 1854 à Graulhet, et son époux Jean Martin Fonvieille (dit « Marti »), né aussi à Graulhet en 1848, acquièrent en 1910 avec leur fils Léon, la propriété qui deviendra, au fil des générations, l’actuel Domaine de Borie-Vieille. Originaires d’une ferme entre Lautrec et Graulhet à Saint Cyr-Bas (berceau de la famille Fonvieille), ils avaient rejoint Lisle sur Tarn (bastide albigeoise du XIIIème siècle) après leur mariage en 1874 au service de la famille de Bermond, propriétaire entre autres des domaines agricoles de « La Maysou » aux Fortis et de Fongisquelle, situé sous Montaigut. La famille de Bermond figure, au début du XIXème siècle, au titre du plus grand propriétaire terrien de Gaillac.

Tout en continuant d’être employés d’un côté, ils achetèrent en premier lieu une vigne au lieu-dit « Moulens sur Saurs » de 80a 65ca en 1904 appartenant aux époux Arcambal-Daurade. Puis, en 1910 ils firent l’acquisition d’une maison avec hangar, four, jardin, vignes et terres au lieu-dit « Le clot de Lagassat » (la mare de la pie ou du bavard !) à Mazou sur Saint Salvy de Coutens (la paroisse), commune de Lisle sur Tarn, sur 1ha 3a 24ca pour une somme de 4500 francs payée en monnaie de cours, et assurés à la Compagnie d’Assurance du Soleil. Ce bien appartenait à Madame Carissime Mélanie Bretou, mariée en 1890 à Joseph Valatx, qui le tenait de son père Jean Joseph Bretou, décédé en 1899. Les époux Valatx Bretou occupèrent la maison pendant 6 mois après la vente ainsi qu’un jardin de 200 m2, pour 20 francs.

La propriété présentait un parcellaire morcelé, une pratique courante pour la vigne afin limiter le risque en cas de maladie ou d’intempérie. Encore aujourd’hui, malgré les échanges et une concentration foncière autour d’un nombre moins important d’agriculteurs, les blocs de parcelles restent dispersés. Cette organisation est caractéristique du système de la petite propriété agricole en polyculture-élevage dans le gaillacois qui se développe durant tout le XIXème siècle et perdure une partie du XXème siècle, afin de pourvoir à la consommation familiale, mais aussi pour fournir quelques revenus avec notamment la vigne. Elle sera le noyau pour constituer au fil des générations le domaine que l’on connaît actuellement.

La maison est située au bord d’une route historique et touristique, le chemin Toulze (chemin de Toulouse, « camin de tolosa » - « camin tolza » en occitan), approuvé itinéraire culturel « Iter Vitis » par le Conseil de l’Europe pour ses paysages remarquables, prenant parfois des airs de petite Toscane, et marquant l’identité de notre territoire). Cette route est une ancienne voie romaine de la rive droite du Tarn au pied des coteaux et chemin secondaire de Saint Jacques de Compostelle, reliant Conques à Toulouse afin de rejoindre le chemin d’Arles.

Le bâtiment contemporain de la deuxième partie du XIXème siècle, est construit selon format type de la ferme vigneronne (en occitan la « boria » du latin borium, la cabane, par extension la ferme), un modèle architectural qui se retrouve dans tout le vignoble, appelé « maison-bloc à terre ». Le logis, composé d’un couloir central desservant deux pièces au rez-de-chaussée et un escalier conduit à trois pièces à l’étage, est toujours orienté au sud sud-est pour bénéficier d’un bon ensoleillement. Sous le même toit, à l’ouest se trouve une remise ou l’étable surmontée de la grange, au nord le chai regroupant le lieu de vinification et de logement du vin avec une ouverture à l’est, afin de bénéficier de températures plus basses pour sa conservation. L’ensemble est couvert d’un toit dissymétrique imputable à la présence du chai à l’arrière. La faible déclivité du terrain est utilisée pour enterrer l’arrière du chai de quelques marches afin d’obtenir une plus grande fraîcheur et température constante.

La ferme étant située sur une terrasse d’alluvions anciennes de la plaine du Tarn (des sols constitués de sables, limons et graviers appelés localement « boulbènes » de l’occitan « volvena » terre poussiéreuse, desséchée), est construite avec des briques de terre crue dite « adobe » moulées à l’air libre. Cette utilisation de ce matériau prédominant est répandue au XIXème siècle dans la région, et s’est imposée dans la plaine, en creusant une carrière à proximité pouvant servir par la suite de mare appelée « clot » en occitan. Seuls les encadrements des ouvertures dont la partie haute du linteau est cintrée sont en briques foraines cuites, plus résistantes.

Léon Paul Fonvieille naquit à la « Maysou » aux Fortis en 1887. Il se maria en 1912 avec Louise Hortense Lormières, née au Fédiès à Gaillac, et par la suite dut partir au front en 1914. Cette guerre le marquera par des blessures d’éclats de projectiles. Hortense décèdera peu après. Jean-Martin Fonvieille décède en 1919.
Toujours au service de la famille de Bermond, puis de la branche héritière d’Oléon, il était l’homme de confiance. Sa passion pour les chevaux l’a conduit à mener des attelages de plusieurs chevaux dans les déplacements des propriétaires.

Léon se remarie en 1929 avec Germaine Françoise Honorine Frézouls, née en 1899 à Lisle sur Tarn, employée à l’étude du notaire Maître Romain Lugan à Lisle sur Tarn. Léon et Germaine auront deux enfants, Jean et Georges, nés respectivement en 1930 et 1931.

La deuxième génération fera croître ce patrimoine familial en achetant des terres disponibles autour de la maison familiale. En particulier, ils acquièrent en 1936 aux époux Gaffié sans descendance, une petite maison aux lieu dit « les matels ou le matel », aux Fortis ainsi que des terres et vignes attenantes, puis quelques vignes avec une dispersion géographique réparties entre les Fortis, la Bèle, Mazou et Oursou, soit sept parcelles de 2 hectares 37 centiares. Léon aussi devient régisseur de Fongisquelle en 1934/1935, préférant avant tout se consacrer aux terres et aux vignes et abandonner chevaux et attelages.

Après les années 1950, la génération suivante (l’aîné des fils Jean et son épouse Etiennette) développera et modernisera le vignoble, la mécanisation faisant place à la traction animale, malgré cet attachement familial au cheval. Le gel de 1956 fut un coup dur pour la famille, les vignes ont dû être replantées en majorité. Entre les années 1960 et 1970, la polyculture-élevage sera abandonnée pour se consacrer à la production viticole. Les chais seront aménagés, y compris dans un hangar qui sera fermé, situé perpendiculairement à la maison d’origine sur le côté ouest. Des parcelles supplémentaires sont acquises ou louées, pour atteindre 16 hectares en propriété et 6 hectares de vignes en location (appartenant à Monsieur Fournac, ancien vigneron négociant de Lisle sur Tarn) dans les années 1990. Jean et Etiennette continuèrent à gérer les vignes du domaine de Fongisquelle pour le compte de la famille de Causans, branche héritière de Bermond et d’Oléon jusqu’en 1990, ce qui permettra par ailleurs de partager le matériel viticole et le travail des salariés sur les deux propriétés.

Côté commercialisation, ils créeront avec des voisins vignerons un des tout premiers groupements (Les Trois Clochers) dès 1968. Cette structure permettait la mise en marché de bouteilles et de vrac issu de la sélection et assemblage des vins des différents domaines associés sur une clientèle directe de particuliers, restaurants et détaillants. La démarche innovante anticipait l’agrément des vins rouges en appellation d’origine contrôlée Gaillac en 1970. Dès cette période, Etiennette et Jean Fonvieille ont été parmi les pionniers dans le renouveau du vignoble avec les cépages historiques du gaillacois, braucol, duras, mauzac, mais aussi syrah et gamay. Une partie des vins continue à être commercialisée en vrac au négoce.

L’aventure de l’association commerciale s’arrêtera en 1991, Jean ayant pris sa retraite l’année avant. Ce millésime est marqué par une gelée importante au mois d’avril qui occasionnera 70% de perte de récolte. Par ailleurs, à partir des années 70 jusqu’à 1990, Jean Fonvieille s’est investi intensément dans les organismes de la filière, notamment à la présidence du syndicat des Vins de Pays des Côtes du Tarn, ainsi qu’en siégeant aux instances interprofessionnelles nationales (A.N.I.V.I.T.) et à la confédération nationale des Vins de Pays.

Puis, en 1995, Pascale, leur fille unique née en 1964, fait le choix de revenir sur les terres familiales, à ses racines. Une quatrième génération se succède sur cette propriété. Cette année-là elle constitue son dossier « jeune agriculteur ». Ingénieur en agriculture et œnologue avec une expérience de gestion, c’est avec ténacité et détermination qu’elle commence ses premières vinifications afin de donner une nouvelle identité. L’objectif est de valoriser la production à travers la création de ses propres cuvées, d’une gamme de vins sous le nom du Domaine de Borie-Vieille. A partir de 1998, Pascale fait appel à un consultant œnologue tout en étant suivi par le laboratoire œnologique départemental de Gaillac. La transformation et la restructuration pas à pas des vignes, de nouvelles acquisitions de parcelles et de plantations, la construction d’un chai neuf en 2004 donnent un nouveau visage à cette propriété qui fêtera son centenaire en 2010. Pour aller plus loin, en 2011, les premières vignes de prunelard, cépage rouge historique « oublié » sont plantées. Aujourd’hui le vignoble s’étend sur près de 27 hectares. Après une démarche technique de fond pour une culture raisonnée mise en place sur le vignoble (travail du sol, enherbement naturel, confusion sexuelle contre le vers de la grappe),  le domaine est certifié Haute Valeur Environnementale en juillet 2019. Un travail de fond récompensé par un palmarès régulier aux différents Concours des vins.

La cinquième génération, les enfants Mathilde et Germain Roc, nés respectivement en 1993 et 1990, écriront eux aussi peut-être leur page d’histoire sur ce domaine familial, rendez-vous dans quelques temps….

Domaine de Borie-Vieille
379 Chemin Toulze
81 310 Lisle sur Tarn
Tel : +33 (0)5 63 40 47 46 / +33 (0)6 81 48 97 61
contact@borievieille.com
www.borievieille.com

SOURCES

Famille Fonvieille Acte notarié du 3 octobre 1910 achat maison lieu-dit « lo clot de lagassat » à Mazou Saint Salvy de Coutens.

Famille Fonvieille Acte notarié du 28 octobre 1936 achat en viager maison et terres au lieu dit « les Matels » aux Fortis.

« Lisle sur Tarn, rues, rieux, routes et autres lieux dits » toponymie annotée de Jean-Paul Riffard, Association Edition du Rabisteau 2017.

Les mots de la vigne Petit abécédaire du patrimoine Gaillacois, Vin des villes, vin des champs, Edition Un autre Reg’Art.

Le Gaillac vin de ville, vin des champs Les cahiers du patrimoine – 108 inventaire général du patrimoine culturel Edition Région Mid-Pyrénées juin 2015.

Témoignage oral de Monsieur Henri de Causans, descendant des familles de Bermond et d’Oléon en août 2019.

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